Mode : Chloé Brochard ou le made in France comme évidence

Chloé Brochard ©Audrey Bardou Studio

Ancienne auditrice financière, Chloé Brochard a créé sa marque de vêtements écoresponsables made in France. À 30 ans, et alors qu’elle vient de devenir maman, la jeune femme souhaite retrouver du sens à son activité. En 2019 naît April & C dans sa région d’adoption de Montpellier. Rencontre avec une créatrice aux antipodes de la fast-fashion.

Un bac ES en poche, la Savoyarde d’origine intègre une école de commerce à Montpellier. Cinq ans plus tard, elle décroche son diplôme et part six mois à l’étranger avec son conjoint pour s’offrir une pause et prendre le temps de réfléchir à la suite. De retour en France, c’est naturellement qu’ils décident de s’installer à Montpellier. Chloé Brochard se lance alors dans l’audit financier pour un gros cabinet. “Ça m’a bien plu pendant quelques années, se souvient-elle. Les équipes étaient jeunes, il n’y avait jamais de routine, beaucoup de déplacements… C’était très stimulant !” Et puis la jeune femme devient maman et “c’est devenu plus compliqué”. Chloé a eu 30 ans et ne se retrouvait plus dans son travail : “J’avais l’impression de ne plus rien apporter à personne, de ne plus m’enrichir.” Elle quitte alors son entreprise – “le meilleur moyen pour se poser, réfléchir et trouver la bonne voie” – et entame une grande remise en question. Grâce à un accompagnement avec une coach, Chloé fait le point sur ses forces, ses envies et aspirations… À l’issue de ces quelques mois de travail, les contours de sa reconversion se dessinent, mêlant l’envie d’entreprendre et le domaine de la mode. “J’ai toujours aimé la mode : pendant mes études, j’avais effectué mes stages dans le monde du luxe et de la mode. Mes deux grands-mères étaient couturières aussi et je cousais quand j’étais petite. J’étais très créative et très manuelle pendant mon enfance, c’était très important pour moi.” Mais en grandissant, ces passions s’étaient peu à peu oubliées.

Donner la priorité au made in France et aux matières naturelles et certifiées

Chloé Brochard présente sa nouvelle collection ©Audrey Bardou Studio

Ce nouvel objectif en tête, la Montpelliéraine se forme alors au prototypage, au patronage et à la couture, aux côtés d’une styliste dans un atelier. En parallèle, elle réfléchit au projet d’entreprise, au site web, aux premiers modèles… À l’issue de ce cheminement, depuis l’accompagnement jusqu’à la création de la marque, un an s’est écoulé. Fin 2019, April & C, marque de mode made in France, voit le jour. Et si le made in France était une évidence – un des oncles de Chloé avait aussi fait carrière dans cette filière avec la confection de bretelles -, la jeune femme reconnaît ne pas avoir choisi le plus facile. “J’ai été confrontée à pas mal de murs au début, on me disait que ce ne serait pas viable… Trouver un atelier de confection a déjà été très difficile car beaucoup avaient fermé en France il y a 10-15 ans, au moment des délocalisations. Heureusement, pas mal d’ateliers ont rouvert depuis…” Le choix du made in France, c’est aussi pour elle la participation à la relocalisation de la confection sur le sol français. La créatrice a aussi souhaité mettre la priorité sur les matières 100 % naturelles, les labels et les certifications : “C’était très important, pour ne pas faire les choses à moitié.” Un sacré challenge mais aussi un bon moyen de se différencier, car peu de marques le proposent. D’abord partie sur le lin, Chloé a vite élargi son choix à cause de l’absence de motifs : coton bio – et désormais, de plus en plus de coton recyclé, car même en bio, le coton n’est pas parfait de par la consommation d’eau qu’il nécessite – viscose labelisée Ecovero® – “la matière n’est pas naturelle mais son procédé de fabrication est écologique”… Mais là encore, une difficulté : le prix des matières, car Chloé souhaite ne commander que ce dont elle a besoin et non de grosses quantités, quitte à payer plus cher. Côté fournisseurs, si elle travaillait au départ avec deux français, ils ont ensuite fermé, et les fournisseurs sont depuis européens. L’engagement de Chloé se traduit jusqu’à la mercerie, puisqu’elle utilise des fils de couture en coton (plutôt qu’en polyester), des élastiques en caoutchouc naturel ou coton bio, des boutons en bois ou nacre… pour des vêtements majoritairement entièrement biodégradables.

“Je n’ai pas choisi la facilité, mais je n’ai aucun regret. J’ai réussi à atteindre mon objectif et en gagnant en qualité de vie.”

Chloé Brochard

Une créatrice aux multi-casquettes

Nous voici en 2020, à l’issue du premier confinement. April & C fait son apparition sur Internet. April & C, pour une consonance anglaise et un rappel du printemps : la période où Chloé s’est lancée et la saison, avec l’été, qui l’inspire le plus. La crise du Covid a fait prendre conscience de notre dépendance aux autres pays et de l’importance d’avoir des fabricants sur notre territoire. La machine prend.

Chloé se charge de la partie créative, du patronage et du prototypage – elle a d’ailleurs obtenu son CAP métiers de la mode en 2021, une manière pour elle de légitimer ses nouvelles compétences. Elle s’occupe également de toute la partie logistique, administrative, des réseaux sociaux, et trouve encore le temps de coudre certaines pièces ! Elle gère notamment la partie sur-mesure du site, qui gagne à être connue. C’est en effet une offre assez rare, qui permet de s’adapter à chaque morphologie : les clientes apprécient. Elle travaille avec deux autres couturières et avec deux ateliers, situés en Occitanie et Rhônes-Alpes. La créatrice propose deux collections par an, pour l’automne/hiver et pour le printemps/été, bien loin des cadences effrénées de la fast-fashion, On y trouve des jupes, robes, blouses, pantalons, shorts, combis, gilets… Des modèles colorés, délicats… aussi vendus sur les plateformes multi-marques éthiques.

Dernier challenge : un pull 100 % français

Chloé Brochard a réussi le pari d’un pull 100 % français ©Audrey Bardou Studio

“Le pull 100 % français, c’est un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps. Je trouve ça super triste que la confection de laine française disparaisse. Je voulais aller au bout de la démarche avec un pull 100 % français, même la matière première.”

Chloé Brochard

La cible d’April & C se trouve d’ailleurs bien loin de la fast-fashion : les personnes qui font attention à ce qu’elles achètent et qui préfèrent acheter moins mais de meilleure qualité. La baisse du pouvoir d’achat l’an dernier a toutefois impacté l’activité de Chloé mais cela a été compensé par la fidélité de ses clientes. Surtout, sa réussite vient du fait que Chloé travaille dur et ne baisse pas les bras, même quand elle rencontre des coups durs. Elle se remet sans cesse en question et ne reste pas sur ses acquis. L’an dernier, elle s’était lancé un nouveau défi : développer un pull 100 % français. “C’est un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps. Je trouve ça super triste que la confection de laine française disparaisse. Pour moi, la laine, c’est comme le lin : la matière la plus noble, la plus écologique et la plus confortable. Qui plus est, la laine mérinos (celle choisie pour le pull, ndlr) est la plus douce ! Je voulais aller au bout de la démarche avec un pull 100 % français, même la matière première.” C’était aussi l’occasion d’élargir son catalogue avec un produit chaud et de découvrir un procédé de fabrication différent ainsi que ce savoir-faire, tout en faisant connaître un nouvel atelier. Le projet, lancé en financement participatif sur Ulule, a demandé beaucoup d’énergie à Chloé, pour un résultat hyper qualitatif à l’automne 2023.

La laine peignée.

À l’approche du 4^e anniversaire de son entreprise, la Montpelliéraine dresse un bilan positif. “Je n’ai pas choisi la facilité, mais je n’ai aucun regret. J’ai réussi à atteindre mon objectif et en gagnant en qualité de vie. L’épanouissement personnel est ma priorité.” Aux côtés de la défense du savoir-faire français. Elle est d’ailleurs aussi signataire de la tribune pour une TVA verte, pour que l’État soutienne les marques écologiquement et socialement responsables, en leur appliquant une TVA à 5,5 %. Pour une mode toujours plus juste et engagée.