Depuis plus de 20 ans, Terre d’Errance soutient les migrants au quotidien
Ces lignes ont été écrites fin mars. Le 8 avril, tôt dans la matinée, les autorités ont détruit le campement de Saint-Hilaire-Cottes. Un appel aux dons d’urgence a donc été lancé. Les coordonnées de l’association figurent à la fin de l’article.

Depuis le début des années 2000, un collectif de citoyens s’est mobilisé dans le secteur de Norrent-Fontes pour venir en aide aux migrants qui survivent dans les champs, en attendant d’essayer de rejoindre l’Angleterre. Structurée en association depuis 2008, Terre d’Errance œuvre quotidiennement auprès de ceux qui ont fui les guerres et les dictatures du monde et qui sont aujourd’hui délaissés par les pouvoirs publics français. Leur “permettre d’accéder à un minimum d’hygiène, de soins et de nourriture” et “militer pour que leurs droits et leur dignité soient respectés” sont les grands objectifs que les bénévoles se sont fixés et pour lesquels ils se battent sans relâche.
Parce que la sensibilisation et l’information sont un des axes d’action de l’association Terre d’Errance, démarrons par un bref panorama de la situation, dressé par Nan, bénévole. “L’émigration a toujours existé. Partout.” Sur notre territoire, et dans le secteur de Norrent-Fontes/Saint-Hilaire-Cottes plus particulièrement, “les migrants viennent essentiellement d’Érythrée, une des plus dures dictatures du monde, du Soudan, qu’une guerre ravage, et d’Éthiopie”. À Calais, ce sont des Syriens, des Afghans et des Kurdes qui sont majoritairement présents. Depuis trois ans, des Ukrainiens sont aussi présents en Europe, évidemment, mais on ne les trouve pas dans les campements, les jungles*, car dans leur malheur, ils ont eu la chance d’être pris en charge par les autorités”, souligne-t-elle. Mais avant d’arriver en Europe, les exilés, qui quittent l’enfer, doivent encore affronter bien des épreuves : la traversée du Sahara ; la traversée de la Lybie, où règne le chaos et où les migrants sont kidnappés, torturés et rançonnés ; la traversée de la Méditerranée.
“Pour les personnes qui ont la chance d’avoir survécu à ces traversées**, soit elles souhaitent demander l’asile dans leur premier pays d’arrivée, souvent les pays du Sud de l’Europe, soit elles veulent rejoindre leur famille déjà présente dans un pays européen ou alors un pays où elles savent qu’elles pourront de nouveau exercer leur métier, grâce à une équivalence de diplôme.” Car cela semble être souvent oublié, mais les exilés avaient une situation familiale et professionnelle avant d’être obligés de tout quitter. “Ces personnes sont comme nous ! Elles aiment et ont envie de vivre auprès des personnes qu’elles aiment, mais elles sont poussées à partir. Souvent, elles ne fuient pas un pays pauvre mais un pays en guerre”, martèle Nan.
En France, il n’y a pas assez d’hébergements : alors, même les personnes qui sont “reconnues”, qui sont en pleines démarches administratives pour obtenir l’asile, sont à la rue ! “Actuellement, il y a entre 1 000 et 1 500 personnes qui vivent à l’extérieur de Calais, car si elles restent dans les rues calaisiennes, elles en sont chassées !” Pire encore : “Jusqu’à il y a peu, des arrêtés préfectoraux*** interdisaient aux associations d’aider les exilés dans certaines rues, notamment du centre-ville ! C’était illégal de donner à boire et à manger…”



Au camp de Saint-Hilaire, les tentes, les bidons d’eau apportés quotidiennement et le garde-manger (photos : Terre d’Errance).
Des campements à proximité de l’A26
Dans les villages proches de l’aire de services de Saint-Hilaire-Cottes sur l’A26, des exilés sont présents depuis la fin des années 1990, notamment sur le territoire de Norrent-Fontes. S’ils ont choisi cette zone géographique, c’est parce que l’aire de Saint-Hilaire est la dernière aire de services avant Calais : les routiers s’y arrêtent donc plus longtemps et cela laisse une occasion aux exilés, qui espèrent gagner l’Angleterre, de monter dans les camions. “Papa Claude”, décédé récemment, a été l’un des premiers à constater qu’ “il se passait quelque chose” sur le secteur. Co-fondateur de Terre d’Errance, il a commencé à amener des litres d’eau aux exilés. Il est rejoint par d’autres citoyens soucieux de pouvoir apporter aux migrants un minimum d’humanité, de l’eau, de la nourriture, des vêtements chauds. Le collectif souhaite aussi les informer sur leurs droits. Deux ans après ces premières actions, Terre d’Errance se constitue en association. En 2012, grâce au soutien du maire de Norrent-Fontes de l’époque, “qui avait eu l’intelligence de dire “Ces gens sont là depuis des années, il faut bien les aider””, des abris avaient été construits sur une parcelle. D’une trentaine de personnes au début des années 2000, le camp de Norrent-Fontes a accueilli jusqu’à 300 migrants, au plus fort.
”Les migrants, ce sont des humains qui sont poussés à partir par la force du désespoir. Ce sont des super humains !”
Laurence, bénévole à Terre d’Errance
Des moments incroyables de partage et d’humanité
Parmi les bénévoles de longue date, Hervé partage, pêle-mêle, ses souvenirs. “Les heures, les jours qu’on y a passés ! On avait une caravane : c’était “la caravane des toubibs”, où un médecin d’Allouagne venait prodiguer des soins et surveiller l’état de santé des migrants.” Et de poursuivre : “Une association anglaise venait aussi nous aider, apportant de la nourriture, des habits, des poêles avec buse qu’on avait adaptés pour pouvoir chauffer dans les abris ! Une année, un groupe d’HEC nous a contactés pour nous prêter main forte : vingt étudiants canadiens, japonais, etc. sont venus construire des toilettes sèches !”
Et puis, en 2017, coup de tonnerre à l’automne : le camp de Norrent-Fontes est détruit, alors que la Justice s’était prononcée deux fois contre. “Ça nous a fait tout drôle, se remémore Hervé. Le bruit des premières grues… Le soir-même, on distribuait 4 500 tracts au rond-point près de l’autoroute à Lillers. Le tribunal administratif a fini par donner tort au sous-préfet à qui il a dit “Vous avez bafoué la loi.”” Ému, le bénévole souligne : “On a eu des moments très durs, mais aussi des moments fantastiques au camp. On a fait des fêtes ; on avait fait venir HK et Les Saltimbanks et d’autres groupes solidaires de notre cause ; j’ai encore de beaux souvenirs d’une célébration de Pâques orthodoxe. Certains migrants étaient restés huit, neuf mois. Le dernier, présent trois ans, avait même fait un jardin potager ! Il a demandé l’asile et l’a obtenu.” Puis, il conclut : “En 2017, on s’est pris la grande claque et on s’est retrouvés orphelins. Certains des migrants ont été emmenés à Belval (dans un Centre d’accueil et d’évaluation des situations (CAES), NDLR), puis, ils sont revenus petit à petit du côté de Saint-Hilaire-Cottes”, où un nouveau “camp de survie” s’est mis en place, entre l’autoroute et le village.
Patricia, une autre bénévole, embraye : “Leur idée est toujours de grimper dans les camions qui sont sur l’aire de services de Saint-Hilaire : direction Calais, puis l’Angleterre ! Ils ont un but et veulent tenter le tout pour le tout.” Elle et son mari sont hébergeurs le week-end. “Comme il y a moins de camions qui circulent ces jours-là, ils se reposent beaucoup. On leur fait à manger, la lessive ; on leur donne accès au Wifi pour qu’ils puissent contacter leur famille ; ils prennent une douche. Quand ils repartent, ils nous remercient au moins dix fois !” Tous deux témoignent aussi des moments forts nés de ces rencontres, du partage des cultures… “Parfois, on reçoit des amis et on invite aussi les exilés : on passe tous un bon moment !” Des moments qui permettent aussi parfois de changer les regards. Pour expliquer son engagement, Patricia cite la chanson de Maxime Le Forestier, Être né quelque part. “Nous, on a eu la chance de naître ici, c’est donc normal d’aider à notre tour.”
Pour Nan, c’est d’abord une rencontre avec des sans-papier en grève de la faim, lors de son DUT carrières sociales, qui suscite cette vocation humanitaire. Puis, plusieurs années plus tard, une rencontre fortuite avec des migrants à Lillers, suivie de la découverte de leur arrivée sur le territoire dans un article de presse, l’ont fait contacter l’abbé Michel Delannoy, “Papa Michel”. “Un lundi, il m’emmenait à Calais. Depuis, je ne me suis plus jamais arrêtée d’aider.”
D’une action quotidienne à un accompagnement sur le long terme
En plus des actions journalières menées au camp (“apporter de l’eau – une question de survie – et de la nourriture, surveiller que tout se passe bien”), du transport des migrants pour les douches, à la gare ou à l’hôpital, ou des hébergements proposés sur un temps long ou le temps d’un week-end, d’autres bénévoles se concentrent sur le Programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (PRAHDA) et rencontrent ainsi les demandeurs d’asile “entassés” dans l’ancien F1 de Fouquières-lès-Béthune (ils sont 2 par chambre de 9 m²).
Les membres de Terre d’Errance aident aussi les exilés qui souhaitent rester en France dans leurs démarches administratives : “C’est déjà pas simple quand on parle la langue…”, souligne Laurence. Des initiations à la langue française et l’apprentissage des coutumes du pays sont également dispensés.
“Il y a aussi une partie juridique”, ajoute Laurence. Afin de défendre les droits des personnes migrantes et de celles qui les soutiennent, les bénévoles se tiennent informés de l’évolution du droit des étrangers en France et de son application, en lien étroit avec la PSM (Plateforme des soutiens aux migrants), le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) et avec un réseau de juristes et d’avocats.


Pour informer et lutter contre les préjugés, des éditions du Journal des jungles et des fascicules sont mis à disposition par les associations d’aide aux migrants.
Enfin, le dernier axe d’action de Terre d’Errance, mais pas des moindres, est l’information et la sensibilisation de l’opinion publique “pour parler de la réalité des migrants”, notamment en milieu scolaire ou associatif. “Partager nos connaissances pour lutter contre la xénophobie et le racisme.” Et Laurence de conclure : “Quand on parle avec les jeunes dans les collèges, qu’on passe du temps à échanger, à débattre, pas mal disent alors “Ha oui, on comprend…” Mais on entend aussi des choses qu’on n’entendait pas avant. Les réseaux sociaux sont un terrain de défoulement habilement orchestré par certains et certaines. On fabrique des boucs-émissaires, comme ça, après, on ne parle plus des vrais problèmes. Les migrants, ce sont des humains qui sont poussés à partir par la force du désespoir. Ce sont des super humains !”
contact@terrederrance.com
Facebook : Association Terre d’Errance
- * ”Jungle” vient du persan et pashto “jangal” qui signifie “forêt”. Les exilés étant chassés de la ville, ils se retrouvent à chercher un abri sous un arbre, dans les bois et forêts.
- ** Il existe des estimations, basses, des morts lors des traversées de la Méditerranée, mais il n’y a aucun chiffre sur les morts dans le Sahara.
- *** Les associations avaient alors saisi le tribunal administratif de Lille qui leur avait donné raison en octobre 2022, mais le ministère de l’Intérieur avait ensuite fait appel de cette décision. La Cour d’appel de Douai a finalement confirmé leur annulation : une décision rendue publique début mars 2025.
Des chiffres glaçants
En 2024, 79 personnes, dont on a retrouvé les corps, sont décédées en essayant de traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre : la majorité est morte noyée, le reste des exilés pour diverses raisons, comme avoir été écrasés par un camion. Au moins 12 personnes ont disparu cette même année. Alors qu’il existe une interdiction d’arrêter les exilés en mer car cela les met en danger de mort, il y a quand même des arrestations… “Quand une mort est connue, un rassemblement a lieu dès le lendemain au Parc Richelieu de Calais, pour un temps de recueillement.”
On marche sur la tête
- Une personne a été mise en garde à vue juste parce qu’elle rechargeait les portables des migrants.
- Un jour, un journaliste venu faire un reportage sur l’organisation des douches par Terre d’Errance, avait demandé aux membres : “Mais vous n’avez pas peur que ça crée un appel d’air ?” Babeth (de son vrai nom Élisabeth Ternois), bénévole aujourd’hui décédée, lui avait répondu : “Monsieur, vous pensez vraiment que les gens vont faire 5 000 km pour venir prendre une douche une fois par semaine ?”

À écouter ou lire en famille
Le concert solidaire de la collection Histoires extraordinaires d’Aldebert qui raconte les aventures de Gaspard, un petit garçon ordinaire, dans un univers teinté de fantastique !
Lorsque des migrants arrivent au village de Gaspard, le petit garçon se sent très concerné. Ces gens ont besoin d’aide : hors de question pour Gaspard et ses amis de rester les bras croisés ! Il propose à sa sœur Justine et son groupe de musique d’organiser un concert caritatif afin de récolter des fonds pour les soutenir, même si certains habitants s’opposent farouchement à cette idée.
Paru chez Glénat et aussi disponible sur les plateformes de streaming musical
